Interview du Dr Papa Abdoulaye Seck,
Directeur Général du Centre du riz pour l’Afrique,
sur la crise alimentaire
(15 Avril 2010) Dr Seck prévient que le continent est toujours vulnérable aux crises alimentaires et décrit toute la batterie de mesures vigoureuses en cours pour renforcer la production locale.
Q: La crise des prix des produits alimentaires de 2008, tout en ayant un impact sur les populations a travers le monde, a plus particulièrement frappé les consommateurs de riz en Afrique. Est-ce qu’on peut dire que cette crise est aujourd’hui révolue? Dr Seck: Même si les grandes manifestations liées à la flambée des produits alimentaires se sont estompées, la crise alimentaire est loin d’être révolue en Afrique subsaharienne. Dans beaucoup de pays, les prix du riz au détail sont restés bien au-dessus des niveaux d’avant-crise même après la baisse des prix internationaux.
Les ingrédients de base d’un autre épisode semblable à celui de 2008 existent toujours. Les stocks mondiaux de riz sont au plus bas et le phénomène El Niño menace la production de riz dans des pays comme la Thaïlande et les Philippines. En plus, malgré les augmentations significatives de la production locale de céréales dans plusieurs pays en 2008 et 2009, l’Afrique continue de dépendre fortement de l’aide alimentaire et des marchés céréaliers mondiaux pour ses principaux produits vivriers, le riz et le maïs.
Tant que la production continentale de ses cultures n’augmente pas substantiellement et tant qu’une grande partie des populations du continent végètent dans l’insécurité alimentaire et la malnutrition (30% comparativement à 16% en Asie), l’Afrique restera vulnérable à des crises alimentaires récurrentes. En fait, les agences humanitaires préviennent déjà qu’une crise alimentaire est en train de se profiler au Sahel, particulièrement au Niger et au Tchad.
Q: Les épreuves difficiles occasionnées par la crise ont suscité un intérêt renouvelé pour l’agriculture et des promesses d’un appui plus important à la recherche agricole. A partir de quels signes percevez-vous que la communauté internationale tient ses promesses? Dr Seck: Tout d’abord, on doit saluer les pays africains pour les initiatives courageuses qu’ils ont eu à prendre. Conformément à la résolution de Maputo, plusieurs d’entre eux ont augmenté les budgets alloués à l’agriculture depuis 2003 et il y a des signes pour une plus grande augmentation depuis la crise alimentaire de 2008.
Il y a aussi des signes positifs d’un appui plus important à l’agriculture par la communauté internationale. Des chiffres récents publiés par l’OCDE (l’Organisation pour la coopération et le développement économique) indiquent que l’aide nette au développement provenant des donateurs du Comité d’aide au développement de l’OCDE a augmenté en termes réels de 0,7% en 2009.
Le rapport de l’OCDE indique aussi qu’en 2009, l’aide bilatérale nette au développement à l’Afrique a atteint 28 milliards de dollars US, ce qui représente une augmentation en termes réels de 3% par rapport à 2008. Le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède ont, tous, dépassé le seuil d’aide au développement de 0,7% du produit intérieur brut prôné par les Nations-Unies.
Depuis la crise alimentaire, AfricaRice a reçu un appui substantiel des pays membres et des donateurs pour mettre en œuvre des projets de recherche-développement rizicoles d’urgence. Le gouvernement américain a fourni à notre centre une subvention de 5,1 millions de dollars US pour un programme d’urgence de 2 ans visant à intensifier la production de riz au Ghana, au Mali, au Nigeria et au Sénégal. Le Japon a mis à notre disposition une enveloppe de 4,8 millions de dollars pour des projets de production de semences d’urgence dans 21 pays. D’autres donateurs ont réorienté certains fonds de leurs projets pour soutenir une initiative d’urgence riz. Dans le cadre de cette même initiative, le gouvernement espagnol canalise des fonds à travers la FAO pour des projets d’urgence riz dans cinq pays.
Q: Comment est-ce que les nouvelles ressources sont utilisées et quels en sont les résultats jusque là? Dr Seck: En réponse à la crise rizicole de 2008, beaucoup de pays membres ont mis en œuvre des politiques et des projets pour faciliter à travers des subventions l’accès des petits producteurs aux semences certifiées et aux intrants d’amélioration de la productivité comme les engrais et la machinerie agricole. Au Mali, par exemple, les investissements publics dans le secteur rizicole ont atteint 85 millions de dollars US en 2008 et 106 millions en 2009.
Toutes ces mesures ont permis d’avoir des augmentations substantielles dans la production de riz en Afrique. Selon l’Observatoire du riz de la FAO, la production a augmenté de 18% entre 2007 et 2008. Le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, la Guinée, le Mali, le Nigeria et l’Ouganda ont, tous, enregistré des croissances à deux chiffres dans leur production nationale de riz. L’augmentation de 241% au Burkina Faso est particulièrement remarquable. Dans la région sahélienne, d’Afrique de l’Ouest, la production a augmenté de 44% en 2008. Pour la saison culturale 2009-2010, la FAO projette une croissance à deux chiffres de la production de riz dans plusieurs pays.
Q: Quelles sont les mesures nécessaires pour mieux armer le secteur rizicole de la région contre une future volatilité des prix? Dr Seck: La volatilité des prix est inhérente au secteur agricole fortement dépendant des conditions climatiques. Mais, l’Afrique subsaharienne peut réduire son degré d’exposition aux chocs du marché rizicole mondial en augmentant sa production et en réduisant sa dépendance sur les importations. L’amélioration de l’accès aux variétés améliorées de riz et aux autres intrants d’amélioration de la productivité, l’extension des surfaces sous maîtrise appropriée de l’eau et l’amélioration des systèmes post-récoltes et de commercialisation sont certaines des mesures-clés nécessaires pour stimuler la production de riz local.
Q: A quel seuil la crise de 2008 a-t-elle sensibilisé les décideurs politiques de la région sur les besoins et le potentiel du secteur rizicole? Qu’est ce qu’ils sont en train de faire ou doivent-ils faire pour renforcer la production de riz ? Dr Seck: La crise rizicole de 2008 a rappelé aux décideurs politiques africains que des approvisionnements sûrs et abordables en produits vivriers sont cruciaux pour le maintien de la stabilité politique et sociale. Beaucoup de pays africains se sont engagés à rechercher l’autosuffisance alimentaire, particulièrement en riz. Au niveau régional, cette denrée a été ciblée comme domaine prioritaire d’investissement. Beaucoup de pays ont pris des initiatives politiques courageuses comme la facilitation de l’accès au crédit, l’accélération de la réhabilitation des périmètres irrigués ainsi que la subvention des semences, des engrais et de la machinerie agricole. Les pays sont aussi en train de renforcer la capacité institutionnelle de leurs systèmes de recherche et de vulgarisation agricoles.