À l’instar de bien d’autres pays africains, le Sénégal a
été gravement touché par la crise des prix du riz de 2007 et 2008.
Toutefois, en novembre 2008 – juste 6 mois après la flambée des prix
mondiaux du riz, et au démarrage de la Grande offensive agricole pour la nourriture
et l’abondance (GOANA) du gouvernement en vue de l’atteinte de l’autosuffisance
rizicole d’ici 2015 – les prix du riz local de la Vallée du fleuve Sénégal (VFS)
baissèrent fortement.
La raison ? À l’instar de plusieurs tentatives
productivistes du passé, le plan de la GOANA a accru la production locale de riz,
mais elle n’avait pas été associée à un accroissement proportionné de la
demande.
« Historiquement, le gouvernement sénégalais a
investi davantage dans la production rizicole – des engrais, des financements
et des infrastructures – que dans la transformation et la commercialisation du
riz, » a affirmé l’agro-économiste Matty Demont.
À l’époque coloniale, le riz brisé peu coûteux a été
importé pour nourrir la main-d’œuvre employée pour cultiver l’arachide destinée
aux importations. Depuis l’indépendance en 1960, la consommation de riz s’est
accrue rapidement pour atteindre 7 % annuellement.
Le Sénégal détient un des taux d’urbanisation les plus
élevés en Afrique – une urbanisation qui accroît la consommation et la demande
de riz. Dans les années 1980 et 1990, le riz a dépassé
le millet et le sorgho en tant que denrée de base préférée dans les centres
urbains au Sénégal.
Les raisons de l’attachement des citadins au riz importé sont parfaitement
valides. Une étude conduite par AfricaRice et ses partenaires avant la crise
alimentaire a montré que 40 % des consommateurs urbains de riz ne savaient
pas qu’il existait du riz produit localement !
D’autres trouvaient qu’il n’était pas disponible (42 %) et mal
commercialisé (40 %) ; tandis qu’un quart des citadins affirmaient
que la qualité du riz local était inférieure à celle du riz importé. Étant
donné que les citadins représentent 65 % de tous les consommateurs de riz du
pays, le riz de la VFS a du chemin à faire pour remplacer la denrée importée
dans la marche vers l’autosuffisance.
Les contraintes relatives à la livraison et à l’acceptation qui se posent à
mesure que la production locale de riz augmente. Demont et Amy Rizzotto, ancien
chercheur visiteur, suggèrent que le gouvernement et d’autres acteurs de la
chaîne de valeur doivent séquencer les actions politiques pour opérer les
changements requis pour que le riz de la VFS puisse mener « l’offensive »
de l'autosuffisance. Et cela sur la base de l’hypothèse selon laquelle les
chaînes de valeur doivent être orientées vers le marché, si le riz produit
localement doit permettre d’atteindre l’autosuffisance.
« Nous nous sommes basés sur de nombreuses données et informations »
explique Demont. « Nous avons mené des interviews semi-structurées avec
une large gamme d'acteurs du riz de la VFS ; depuis les producteurs, les agents
de vulgarisation, les transformateurs et les commerçants, aux consommateurs et
restaurateurs, et même jusqu’aux trois principaux importateurs de riz. Nous
avons organisé un atelier destiné aux acteurs en vue de procéder à des séances de
groupes de remue-méninges sur la commercialisation du riz de la VFS. Il y avait
des données d’enquêtes datant d’avant la crise alimentaire, et des informations
sur les ventes aux enchères expérimentales tenues en 2010 et 2011. »
Suite à une étude méticuleuse de toutes ces informations, Demont et
Rizzotto ont distillé des « leçons de séquençage politique »
génériques qui pourraient être applicables à plus grande échelle hors du
Sénégal.
1. La qualité du riz doit être adaptée aux préférences du consommateur
comme exprimé par la demande du marché. Dans la course vers l’autosuffisance en
Afrique, cette demande sera généralement conduite par les grands marchés
urbains et souvent influencée par les importations.
2. Elle devrait être suivie d’un investissement à grande échelle dans la
productivité rizicole.
3. La transformation et la distribution doivent également être diffusées à
grande échelle à travers des investissements dans des infrastructures de
collecte et de stockage.
4. Une fois que le riz local de qualité requise est disponible dans des
quantités commercialisables, il devra être étiqueté et faire l’objet de publicité.
L’objectif est sensibiliser et de déterminer les attentes de consommateurs,
afin que la nouvelle marque capte une part du marché, sinon il serait
impossible de modifier des habitudes de consommation de longue date et
d'inverser l'influence des importations sur les marchés urbains finaux.
5. Le contrôle qualité et la promotion générique, de même que les
stratégies publicitaires doivent être établis et maintenus, afin que les
marques deviennent des produits crédibles, et que leurs parts de marché dans
les marchés urbains finaux soient maintenus.
L’application de ces leçons différera selon les divers contextes de chaîne
de valeur. « Par exemple, » affirme Demont, « Le Burkina Faso a
le luxe d’avoir une base de consommateurs urbains qui est prête à substituer le
riz local au riz importé sur la base de sa qualité actuelle. Ici, la priorité
est d’accroître la production pour répondre aux besoins des consommateurs en
terme de volume ». De plus, le séquençage des politiques n’est pas aussi
simple que (1) suivi de (2), suivi de (3).
« Toutes les actions doivent démarrer de façon plus ou moins
synchronisée du fait de délais entre l’investissement et l’impact, » affirme
Demont, « mais certaines actions ne peuvent être effectives que si certaines
actions repères précédentes sont menées. » En particulier, l’étape (5)
montre que le maintien de la qualité des nouvelles marques et le maintien de
leur image aux yeux du public est un processus continu.
Au Sénégal, toute la chaîne de valeur est faussée par les investissements
historiques et actuels en vue de l’accroissement de la production et
productivité sans investissements similaires dans la transformation et de la commercialisation.
« Pour le Sénégal, nous proposons une approche en trois étapes »,
affirme Demont. « Tout d’abord, ‘ nous’ devons étudier la
valorisation du riz local. Ce qui impliquera l’amélioration de la qualité afin
qu’elle concurrence celle des marques importées ; faciliter les
dispositions contractuelles entre les liens adjacents dans la chaîne de valeur
pour assurer la qualité – par exemple, entre les grands acheteurs à Dakar et
les producteurs ». Cette étape inclut également l’étiquetage et le
marquage.
Une seconde étape pour le Sénégal serait d’accroître l’offre de produits
étiquetés à travers l’amélioration de la productivité et la diffusion à grande
échelle des infrastructures pour permettre la collecte et le stockage. « Bien
entendu, le renforcement de la productivité est déjà une question majeure pour
le gouvernement sénégalais », déclare Demont.
« La difficulté serait de convaincre les producteurs de continuer à
accroître leur production, lorsqu'ils ont, par le passé, payé durement le prix
sur le marché en termes de prix à la récolte. C’est là où les dispositions
contractuelles vont jouer un rôle essentiel. »
La troisième étape consiste à accroître la demande de riz de qualité de la
VFS à travers la promotion et la publicité générique. Cela implique également
l’établissement d’une base de consommateurs en touchant des nouveaux
consommateurs potentiels, et assurer que le produit correspond à la description
de la publicité. « chaque ‘étape’ est réellement un repère, » ajoute
Demont. « Les activités de chaque étape vont se poursuivre même après le
démarrage de l’étape suivante – engagement parallèle et continu ».
« La bonne nouvelle », affirme Demont, « c’est que, depuis
l’atelier des acteurs, le secteur privé a initié des actions de modernisation
de la chaîne de valeur ». À titre d’exemple, 14 importateurs de riz ont
lancé une « joint-venture » avec des producteurs et des
transformateurs – la Société de promotion et de commercialisation du riz sénégalais
(SPCRS) – pour acheter, usiner et vendre le riz de la VFS aux consommateurs
sénégalais, contrôler la qualité à travers des contrats avec les usiniers et
les producteurs. D’autres initiatives sur la chaîne de valeur portent sur le
ciblage de différents segments du marché avec du riz de moyenne et haute qualité
de la VFS.
« Les nouvelles variétés de riz aromatiques qui ont récemment été
introduites dans le VFS sont prometteuses, » affirme Demont. « Elles
peuvent déclencher un développement plus conséquent de la chaîne de valeur afin
que la VFS soit en mesure de toucher des segments de consommateurs exigeants à
Dakar qui auparavant étaient inaccessibles au riz local.
Grace à la promotion générique du riz de la VFS par le gouvernement
sénégalais et plusieurs partenaires au développement, aux prix élevés
persistent du riz importé, et à l’accroissement de la qualité déjà visible du
riz étiqueté de la VFS basé sur les variétés d’AfricaRice, il y a déjà eu une
adoption positive du riz de la VFS par les consommateurs urbains.
« La connaissance de l’existence du riz de la VFS à Dakar s’est
considérablement accrue », déclare Demont. « La dernière série de
ventes aux enchères expérimentales dans la capitale (conduites en avril 2012) a
montré un niveau de connaissance de 93 % – seuls neuf personnes sur 120 ne
connaissaient pas le riz de la VFS. Il s’agit là d’un pas de géant, depuis les
60 % en 2006–2007 ! »
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1.
Demont, M.,
Rutsaert, P., Ndour, M., Verbeke, W., Seck, P.A. & Tollens, E. 2013.
Experimental Auctions, Collective Induction and Choice Shift:
Willingness-to-pay for Rice Quality in Senegal. European Review of Agricultural
Economics, in press.
2. Demont,
M. & Rizzotto, A.C. 2012. Policy Sequencing and the Development of Rice
Value Chains in Senegal. Development Policy Review, 30(4):451–472.
3. Demont,
M., Rutsaert, P., Ndour, M. & Verbeke, W. Reversing Urban Bias in African
Rice Markets: Evidence from Senegal. World Development, under review.