Introduction
Le
monde est confronté à des défis sans précédent causés par la pandémie de
coronavirus (COVID-19), l’une des plus graves urgences de santé publique de l’histoire.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, au 19 avril 2020, plus de 2,24 millions
de cas de COVID-19 ont été signalés dans 185 pays et territoires, entraînant
plus de 152 000 décès. Le nombre de cas d’infection détectés en Afrique
est resté relativement faible, bien qu’il augmente maintenant à un rythme
alarmant avec plus de 20 000 cas et le nombre de décès qui a dépassé le
millier. Pour contenir la pandémie, plusieurs mesures, dont le maintien de
pratiques d’hygiène strictes, des règles de distanciation sociale, le port de
masques faciaux, des restrictions de voyage, des quarantaines et des mesures de
confinement partielles ou complètes, ont été mises en œuvre dans de nombreux
pays du monde.
Si ces mesures sont importantes pour arrêter la propagation
du coronavirus, elles ont cependant un impact néfaste sur les moyens de
subsistance, l’emploi, la sécurité alimentaire et nutritionnelle et les
activités économiques. Les impacts seront probablement relativement importants
en Afrique, où 34 % de la population est employée par le secteur informel,
gagne des salaires relativement bas, vit au jour le jour et ne dispose pas de
filets de sécurité adéquats pour garantir un approvisionnement suffisant en nourriture
et autres produits de première nécessité pour la vie quotidienne. Le secteur
agricole fournit 55 % des emplois en Afrique et est la source de plus de
70 % des revenus des populations pauvres.
Alors que les experts, les gouvernements et la communauté
internationale s'efforcent « d’aplatir la courbe du coronavirus »
afin d’éviter une crise sanitaire ingérable, la nécessité « d’aplatir la
courbe de l’insécurité alimentaire » ne reçoit pas la même attention. Il s’agit
d’une préoccupation importante, notamment parce que les trois dernières années
ont déjà vu une détérioration de la situation de la sécurité alimentaire. Le
nombre de personnes souffrant d’insécurité alimentaire a augmenté, atteignant
plus de 820 millions dans le monde en 2018, dont environ 260 millions
en Afrique. La prévalence de la sous-alimentation en Afrique est de près de 20 %,
soit la plus élevée au monde.
En outre, le prix mondial du riz, qui est devenu un aliment
de base majeur en Afrique subsaharienne (ASS), n’a cessé d’augmenter au cours
des douze derniers mois. La pénurie attendue de denrées alimentaires
importantes telles que le riz et le blé, combinée à la hausse des prix, en
raison des mesures de lutte contre le coronavirus, va probablement plonger des
millions de personnes, en particulier en Afrique, dans une profonde insécurité
alimentaire et dans la pauvreté. Pour éviter une répétition de la crise
alimentaire mondiale de 2007-2008, des mesures nécessaires et urgentes pour une
croissance agricole soutenue doivent être mises en place dès maintenant.
Risques auxquels est confronté le secteur rizicole en Afrique
Le riz est l’aliment de base qui croît le plus rapidement en
Afrique, en particulier en Afrique de l’Ouest, où il est la principale source
de calories par rapport aux autres céréales. La pandémie de COVID-19 affectera
certainement l’offre mondiale et locale en riz et fera fluctuer les prix
pendant et après la pandémie. Avant la crise à COVID-19, la consommation de riz
en ASS devait atteindre 35 millions de tonnes en 2020, dont 15 millions
de tonnes (43 %) devaient être importées des pays asiatiques. Certains de
ces pays asiatiques ont été durement touchés par la pandémie et les effets
immédiats du COVID-19 en ASS seront ressentis par les consommateurs de riz, en
particulier dans les zones urbaines, sous la forme d’augmentation du prix du
riz et de budgets alimentaires plus serrés. Subséquemment, le système
agroalimentaire riz est confronté à des risques potentiels, notamment l’instabilité
du marché international, les chocs croissants sur la productivité et l’instabilité
sociopolitique.
Instabilité du marché international
Les conséquences économiques du COVID-19 dans les principaux
pays exportateurs de riz, tels que l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam, le
Pakistan, les États-Unis et le Myanmar, qui a contribué à hauteur de 83 % au
volume des exportations mondiales en 2017-2018, ne sont pas encore pleinement
comprises. Même si les stocks mondiaux de riz ont augmenté en 2019 pour
atteindre 184 millions de tonnes contre 176 millions de tonnes en
2018, les stocks pourraient diminuer en raison du repli de la production
mondiale et de l’augmentation de la spéculation. Le blocage dans de nombreux
pays a entraîné une réduction à court terme du transport de marchandises,
notamment du riz, ce qui peut aboutir à une baisse des importations de riz en
ASS.
Les pays exportateurs asiatiques pourraient également
restreindre leurs exportations pour soutenir la consommation nationale jusqu’à
la fin de la pandémie et lorsque la capacité de production sera rétablie. À
titre d’exemple, malgré un appel à la solidarité pour éviter le
« nationalisme alimentaire », à partir du 1er avril
2020, le Vietnam et le Cambodge décidaient de restreindre les exportations de
riz pour protéger leur marché intérieur et pour faire face à une éventuelle
pénurie alimentaire. Les commerçants de riz en Inde, qui est le plus grand
exportateur de riz au monde, avaient cessé de signer de nouveaux contrats d’exportation
pendant trois semaines en mars 2020, en raison de pénuries de main-d’œuvre
et de perturbations dans l’approvisionnement lors d'un confinement sur
l’étendue du territoire pour contrôler la propagation du coronavirus. Cela a
permis aux pays exportateurs de riz comme la Thaïlande d’augmenter les
expéditions et ce qui a fait grimper les prix mondiaux, obligeant les
consommateurs africains à payer plus cher pour cette denrée. Heureusement, les
commerçants indiens viennent de reprendre la signature de nouveaux contrats d’exportation.
Cela indique clairement qu’une telle perturbation,
instabilité et incertitude dans l’approvisionnement en provenance des
principaux pays exportateurs pourraient entraîner de graves pics de prix
semblables à ceux observés lors de la crise alimentaire mondiale de 2007-2008,
qui vont affecter plus les personnes les plus pauvres et les plus vulnérables
en Afrique.
Augmentation des chocs sur la productivité du riz
Les prix à la consommation augmenteront du fait des
perturbations potentielles sur les marchés intérieurs des intrants (semences,
engrais), ce qui entraînera une faible utilisation des intrants et une faible
production locale de riz. Dans certains pays, les agriculteurs peuvent ne pas
être autorisés à aller au champ ou à trouver de la main-d’œuvre pour les
activités agricoles, ce qui va entraîner une réduction de la production
nationale de riz. L’accès au marché de produits pourrait également constituer
un défi en raison du confinement. La récente étude menée par AfricaRice, sur le
niveau d’autosuffisance en riz des pays, a montré que des pays comme la Gambie,
le Cameroun, le Ghana ou le Sénégal ont des taux d’autosuffisance de 60 %
ou moins. Par conséquent, les chocs des prix seront plus graves pour ces pays,
car ils dépendent encore largement des exportations en provenance d’Asie pour
combler les écarts entre la production et la consommation.
À moyen terme et contrairement à la perception selon
laquelle la hausse des prix devrait profiter aux agriculteurs, les revenus
agricoles des petits riziculteurs seront probablement réduits par le risque et
l’incertitude créés par la volatilité des prix et la réduction de la
production. Les insuffisances des systèmes de production d’intrants vont même
bouleverser les pays presque autosuffisants dont la consommation par habitant
reste forte notamment Madagascar, le Mali ou la Sierra Leone, où, en plus des
stocks de riz réduits sur les marchés, les agriculteurs peuvent aussi consommer
tous leurs stocks de riz, y compris les semences. Cette situation a été déjà constatée
lors de la crise à virus Ebola en Afrique de l’Ouest.
Après la crise à COVID-19, il est attendu que le système de
production soit, certainement, affecté négativement, compte tenu des défis
existants du développement du secteur rizicole en ASS, notamment la
disponibilité limitée des matériaux génétiques adéquats et de capitaux
semenciers, ainsi que des systèmes semenciers dysfonctionnels, le manque d’investissements
et de mesures politiques à long terme, et la faiblesse du système de crédit et
d’assurance destinés aux agriculteurs. Le transfert de technologies et l’accès
à des pratiques améliorées pourraient ralentir en raison de l’inactivité des
agences nationales de vulgarisation, qui seront obligées de ralentir leurs
activités, voire de les arrêter en raison de la propagation du COVID-19.
Instabilité sociale et politique
Cette pandémie affecterait également le capital humain, le
pire scénario étant un taux élevé de décès, en fonction des capacités des pays
à maintenir le contrôle de leurs frontières et à appliquer les mesures de
distanciation sociale. Les pays pauvres d’Afrique sont ceux qui ont le moins de
ressources pour prévenir et contrôler les problèmes de santé ; les
services médicaux, l’électricité et les sources d’eau potable font cruellement
défaut. Si le COVID-19 n’est pas contenu, il fera payer un lourd tribut aux
populations rurales, ce qui réduira le nombre de travailleurs et laissera la jeune
génération avec des connaissances limitées en matière d’agriculture. Ce
scénario aura un effet néfaste sur l’approvisionnement du système
agroalimentaire local en riz et entraînera une hausse des prix.
L'incapacité des gouvernements à répondre aux besoins de la
population par des systèmes de distribution alimentaire d’urgence pendant la
pandémie pourrait entraîner des troubles sociaux potentiels. Ce qui
constituerait un rappel brutal des manifestations et des émeutes alimentaires
qui ont eu lieu dans certaines des capitales d’ASS en réponse aux prix élevés
des denrées alimentaires pendant la crise alimentaire de 2007-2008. L’instabilité
politique pourrait également être aggravée par l’augmentation du chômage des
jeunes du fait : des licenciements dans les petites et moyennes
entreprises (PME), qui luttent pour survivre aux effets
de la crise économique issus de la pandémie de coronavirus, et de la
réduction de la demande de biens et services des chaînes d’approvisionnement
liées au riz dans lesquelles les jeunes sont employés.
Aplatir la courbe de l’insécurité
alimentaire par des interventions efficaces pour appuyer le système
agroalimentaire du riz face au COVID-19
Le contexte actuel devrait servir d’incitation et de
justification renouvelée à l’Afrique pour qu'elle augmente sa production
rizicole afin de nourrir sa population. L’expérience du ralentissement
économique mondial de 2007-2008 a montré que la plupart des pays en
développement ont rebondi avec une reprise inégale et de courte durée. Depuis
2011, les tendances de la croissance économique ont généralement diminué et le
nombre de personnes souffrant de sous-alimentation a augmenté au cours des
trois dernières années. Dans la situation actuelle, et compte tenu du rôle que
le secteur rizicole pourrait jouer pour atténuer les effets néfastes de la
pandémie de COVID-19 sur la sécurité alimentaire, les mesures suivantes sont
proposées :
Mesures à court terme
- Subventionner et contrôler les prix au détail pour contenir
l’augmentation des prix à la consommation et éviter les émeutes ;
- Entreprendre un inventaire et un suivi rapides des stocks de
riz (local et importé) dans les pays et stabiliser les prix en empêchant les
comportements spéculatifs censés faire augmenter les prix ;
- Promouvoir le commerce régional en tirant parti des blocs
commerciaux régionaux et des accords de libre-échange existants ;
- Éviter le gaspillage de nourriture, réduire les pertes
post-récolte ;
- Stimuler la production nationale en subventionnant les
intrants tels que les semences et les engrais, les machines agricoles et les
équipements post-récolte ;
- Fixer un prix minimum au producteur et assurer la
disponibilité d’engrais et de semences de qualité en temps opportun ;
- Exclure les mesures de réduction ou de suspension des taxes
douanières sur le riz importé en raison de leur effet négatif sur la production
locale ;
- Mettre en œuvre un programme de relance économique qui
comprend l’extension des dettes fiscales et des paiements des services publics
pour permettre au secteur privé de limiter le chômage des jeunes.
Mesures à moyen et long termes
- Renforcer les principaux domaines d’investissement pour
développer la chaîne de valeur du riz, promouvoir le riz local, soutenir la
recherche nationale et internationale pour le développement afin de combler
l'écart de rendement, diffuser à grande échelle les bonnes pratiques agricoles,
assurer l’accessibilité aux semences de qualité, améliorer la maîtrise de l’eau
grâce à de nouveaux périmètres irrigués et à l’aménagement des bas-fonds,
réhabiliter les périmètres d’irrigation dégradés, et développer les
installations de base pour la transformation post-récolte, la commercialisation
et l’amélioration de la compétitivité ;
- Étant donné que les services de vulgarisation et la
main-d'œuvre agricole seraient affectés par les restrictions liées à la
quarantaine, il est grand temps de développer et de promouvoir l’utilisation
des technologies numériques et des TIC pour fournir des services et améliorer
la productivité du travail et des terres ;
- Promouvoir les innovations numériques en investissant dans
les infrastructures numériques afin d’encourager la création d'emplois
dynamiques, stables et de bonne qualité pour les jeunes dans la chaîne de
valeur du riz ;
- Consolider les stocks de réserve
régionaux et nationaux de riz, car l’avantage du riz est qu’il peut être stocké
pendant une période relativement longue et être facilement utilisé dans les
situations d'urgence.
Il est temps que les gouvernements adoptent une approche
agroalimentaire systémique en ce qui concerne la recherche pour le
développement, la formulation et la mise en œuvre des politiques, étant donné
que la pandémie n’affecte pas seulement le riz mais aussi de nombreuses autres
denrées alimentaires, tous les processus, les acteurs, les relations et les institutions
impliqués dans la production, la commercialisation et la consommation
alimentaires.
En tant que principal institut de recherche pour le développement
rizicole en Afrique, AfricaRice est chargée d’aider ses pays membres à atténuer
les effets de la pandémie de COVID-19 sur leur système agroalimentaire riz, en
mettant à disposition des semences de qualité et d’autres technologies
améliorées en travaillant en étroite collaboration avec les secteurs public et
privé, en suivant les tendances du marché du riz et en offrant des conseils et
des orientations aux décideurs politiques.